Marie Citrini, représentante des usagers à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP) et au sein du Collectif Inter-Hôpitaux. ©DR
Vous avez adhéré au Collectif Inter-Hôpitaux (CIH) dès sa création. Pourquoi ?
Marie Citrini : En tant que patiente, atteinte d’une maladie chronique depuis presque trente ans, j’avais pu me rendre compte des maux dont souffrait l’hôpital public. J’avais moi aussi vu, entendu et identifié les mécanismes organisationnels déficients ainsi que le manque de matériels – et ce, bien avant la crise sanitaire. Il m’était donc tout naturel de participer à cette démarche qui veut porter haut les couleurs de l’hôpital et de tous ses acteurs. Fait d’ailleurs assez rare dans le monde de la santé, dès le 10 octobre 2019 – soit le jour de la première assemblée générale du CIH – des médecins, des non-médecins et des usagers étaient présents pour participer à la création d’un collectif basé sur l’échange.
Le CIH vous a d’ailleurs nommée co-présidente. Vous avez à ce titre participé aux débats du Ségur de la Santé. Qu’en retenez-vous ?
J’ai surtout eu le sentiment – excusez-moi pour l’expression – que ce Ségur a été fait au “dépoté”. Les manques et les nombreuses problématiques de l’hôpital ont été largement mis en lumière par la crise sanitaire… au point que l’hôpital public soit devenu monopathologique !À l’ouverture du Ségur de la Santé, Édouard Philippe avait même décrit les autres pathologies comme des “maladies secondaires” au temps du coronavirus. Pour moi comme pour de nombreux professionnels de santé, ce terme a été d’une grande violence et a suscité beaucoup d’incompréhension. Mais il a, aussi et surtout, été symptomatique de l’urgence qu’il y avait à agir pour rénover notre système de santé.
Le premier pilier du Ségur, relatif aux salaires, a notamment retenu l’attention. Y avez-vous participé ?
Le CIH dans son ensemble a été très mobilisé, notamment sur ce que j’appellerai la “valorisation” des salaires. Sur ce point, nous ne sommes pas un syndicat et nous n’avons donc pas mené les négociations. Mais nous avons apporté notre aide et notre appui pour que les salaires des personnels hospitaliers soient alignés sur ceux pratiqués dans les autres pays de l’OCDE. Cette thématique, si elle a effectivement mobilisé toutes les attentions, n’était toutefois pas la seule : nous avons également travaillé sur les autres piliers, l’investissement et le financement, l’organisation des équipes et l’intégration des acteurs de la santé dans leur territoire.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ces semaines d’échanges et de travaux ?
L’organisation du Ségur m’a réellement troublée. J’ai eu l’impression que tout avait été réfléchi en amont et que nous n’avions été sollicités que pour émettre des avis qui “rentraient dans les cases”. Dans chaque groupe de travail, des animateurs menaient les échanges de manière efficace, mais je ressentais toujours la présence d’une feuille de route préétablie en filigrane. Mais au-delà de cette impression personnelle, les débats ont assurément été intenses et nous avons pu en tirer des contributions intéressantes. Je regrette simplement que certaines n’aient pas pu être réellement prises en compte, ou ne seront pas véritablement appliquées. L’intégration de personnels non-médicaux et d’usagers dans les directoires, et autres lieux de décision hospitalière, ne sera par exemple que rendue “possible”. Idem pour la suppression de l’échelon de pôle dans certains établissements. Ce discours du “possiblement”, sans alternatives ni obligations d’expérimentations, mène rarement à une application effective sur le terrain.
Qu’apporterait, à votre sens, une meilleure intégration des usagers dans les directoires ?
Elle permettra d’engager une réflexion collective dans les directoires, qui ne sera peut-être pas pertinente partout, mais favorisera au moins le débat d’idées en apportant une vision plus proche du terrain. Une telle approche peut donc être bénéfique pour tous. Mais il faut pour cela changer de paradigme, ne pas voir les usagers comme des “empêcheurs de tourner en rond” mais bien comme des vecteurs d’amélioration de la qualité des soins.
Quelles seraient, pour vous, les autres pistes pour améliorer la prise en charge hospitalière ?
Le manque de professionnels qualifiés est clairement l’un des principaux problèmes auquel est confronté l’hôpital public. Car, bien que l’on promette une augmentation du nombre de lits, force est de constater qu’aujourd’hui, l’hôpital ne dispose pas forcément des moyens humains nécessaires à cette évolution.Pourtant, des professionnels de santé sont formés tous les ans. Pourquoi ne choisissent-ils pas d’exercer à l’hôpital public ? À cause des salaires, certes, mais aussi des conditions de travail : l’importance des tâches administratives, le manque de temps pour correctement s’occuper des patients ou échanger avec les collègues… Tout cela nuit à l’ambiance générale et génère du mal-être. Pour moi, l’un des moyens d’y remédier serait de permettre une organisation plus proche du patient, dans laquelle des cadres définiraient les axes généraux et les services leurs adaptations concrètes. Parallèlement, il faudrait que la voix des professionnels hospitaliers soit réellement entendue, en particulier lorsqu’ils alertent sur le manque de personnel dans leurs services. Faire confiance aux acteurs de terrain, les considérer réellement, est sûrement l’un des points les plus importants.
Après la crise du printemps, la situation sanitaire s’est à nouveau détériorée cet automne. Votre vision a-t-elle évolué ?
En tant qu’usager, je crains particulièrement un retour des déprogrammations. Même si elles semblent encore être limitées [cet entretien a eu lieu à la mi-novembre, NDLR], plusieurs actes ont déjà été déprogrammés partout en France. Mais l’accalmie estivale a eu du bon : plusieurs établissements ont pu mieux se préparer à l’arrivée d’une deuxième vague, en faisant campagne pour la télémédecine mais aussi en s’ouvrant davantage sur la ville. Étant moi-même atteinte d’une maladie chronique, je dois admettre que c’est un réel soulagement de savoir qu’à la différence du printemps, l’hôpital n’est plus une forteresse infranchissable ! Le rôle prépondérant des associations de patients lors de cette crise sanitaire a d’ailleurs montré la nécessité d’utiliser au mieux les outils numériques à long terme. Le monde associatif et celui du soin doivent donc eux aussi mieux collaborer, et avec constance, pour améliorer le parcours du patient dans son ensemble et pas seulement entre les murs de l’hôpital.
Marie Citrini : En tant que patiente, atteinte d’une maladie chronique depuis presque trente ans, j’avais pu me rendre compte des maux dont souffrait l’hôpital public. J’avais moi aussi vu, entendu et identifié les mécanismes organisationnels déficients ainsi que le manque de matériels – et ce, bien avant la crise sanitaire. Il m’était donc tout naturel de participer à cette démarche qui veut porter haut les couleurs de l’hôpital et de tous ses acteurs. Fait d’ailleurs assez rare dans le monde de la santé, dès le 10 octobre 2019 – soit le jour de la première assemblée générale du CIH – des médecins, des non-médecins et des usagers étaient présents pour participer à la création d’un collectif basé sur l’échange.
Le CIH vous a d’ailleurs nommée co-présidente. Vous avez à ce titre participé aux débats du Ségur de la Santé. Qu’en retenez-vous ?
J’ai surtout eu le sentiment – excusez-moi pour l’expression – que ce Ségur a été fait au “dépoté”. Les manques et les nombreuses problématiques de l’hôpital ont été largement mis en lumière par la crise sanitaire… au point que l’hôpital public soit devenu monopathologique !À l’ouverture du Ségur de la Santé, Édouard Philippe avait même décrit les autres pathologies comme des “maladies secondaires” au temps du coronavirus. Pour moi comme pour de nombreux professionnels de santé, ce terme a été d’une grande violence et a suscité beaucoup d’incompréhension. Mais il a, aussi et surtout, été symptomatique de l’urgence qu’il y avait à agir pour rénover notre système de santé.
Le premier pilier du Ségur, relatif aux salaires, a notamment retenu l’attention. Y avez-vous participé ?
Le CIH dans son ensemble a été très mobilisé, notamment sur ce que j’appellerai la “valorisation” des salaires. Sur ce point, nous ne sommes pas un syndicat et nous n’avons donc pas mené les négociations. Mais nous avons apporté notre aide et notre appui pour que les salaires des personnels hospitaliers soient alignés sur ceux pratiqués dans les autres pays de l’OCDE. Cette thématique, si elle a effectivement mobilisé toutes les attentions, n’était toutefois pas la seule : nous avons également travaillé sur les autres piliers, l’investissement et le financement, l’organisation des équipes et l’intégration des acteurs de la santé dans leur territoire.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ces semaines d’échanges et de travaux ?
L’organisation du Ségur m’a réellement troublée. J’ai eu l’impression que tout avait été réfléchi en amont et que nous n’avions été sollicités que pour émettre des avis qui “rentraient dans les cases”. Dans chaque groupe de travail, des animateurs menaient les échanges de manière efficace, mais je ressentais toujours la présence d’une feuille de route préétablie en filigrane. Mais au-delà de cette impression personnelle, les débats ont assurément été intenses et nous avons pu en tirer des contributions intéressantes. Je regrette simplement que certaines n’aient pas pu être réellement prises en compte, ou ne seront pas véritablement appliquées. L’intégration de personnels non-médicaux et d’usagers dans les directoires, et autres lieux de décision hospitalière, ne sera par exemple que rendue “possible”. Idem pour la suppression de l’échelon de pôle dans certains établissements. Ce discours du “possiblement”, sans alternatives ni obligations d’expérimentations, mène rarement à une application effective sur le terrain.
Qu’apporterait, à votre sens, une meilleure intégration des usagers dans les directoires ?
Elle permettra d’engager une réflexion collective dans les directoires, qui ne sera peut-être pas pertinente partout, mais favorisera au moins le débat d’idées en apportant une vision plus proche du terrain. Une telle approche peut donc être bénéfique pour tous. Mais il faut pour cela changer de paradigme, ne pas voir les usagers comme des “empêcheurs de tourner en rond” mais bien comme des vecteurs d’amélioration de la qualité des soins.
Quelles seraient, pour vous, les autres pistes pour améliorer la prise en charge hospitalière ?
Le manque de professionnels qualifiés est clairement l’un des principaux problèmes auquel est confronté l’hôpital public. Car, bien que l’on promette une augmentation du nombre de lits, force est de constater qu’aujourd’hui, l’hôpital ne dispose pas forcément des moyens humains nécessaires à cette évolution.Pourtant, des professionnels de santé sont formés tous les ans. Pourquoi ne choisissent-ils pas d’exercer à l’hôpital public ? À cause des salaires, certes, mais aussi des conditions de travail : l’importance des tâches administratives, le manque de temps pour correctement s’occuper des patients ou échanger avec les collègues… Tout cela nuit à l’ambiance générale et génère du mal-être. Pour moi, l’un des moyens d’y remédier serait de permettre une organisation plus proche du patient, dans laquelle des cadres définiraient les axes généraux et les services leurs adaptations concrètes. Parallèlement, il faudrait que la voix des professionnels hospitaliers soit réellement entendue, en particulier lorsqu’ils alertent sur le manque de personnel dans leurs services. Faire confiance aux acteurs de terrain, les considérer réellement, est sûrement l’un des points les plus importants.
Après la crise du printemps, la situation sanitaire s’est à nouveau détériorée cet automne. Votre vision a-t-elle évolué ?
En tant qu’usager, je crains particulièrement un retour des déprogrammations. Même si elles semblent encore être limitées [cet entretien a eu lieu à la mi-novembre, NDLR], plusieurs actes ont déjà été déprogrammés partout en France. Mais l’accalmie estivale a eu du bon : plusieurs établissements ont pu mieux se préparer à l’arrivée d’une deuxième vague, en faisant campagne pour la télémédecine mais aussi en s’ouvrant davantage sur la ville. Étant moi-même atteinte d’une maladie chronique, je dois admettre que c’est un réel soulagement de savoir qu’à la différence du printemps, l’hôpital n’est plus une forteresse infranchissable ! Le rôle prépondérant des associations de patients lors de cette crise sanitaire a d’ailleurs montré la nécessité d’utiliser au mieux les outils numériques à long terme. Le monde associatif et celui du soin doivent donc eux aussi mieux collaborer, et avec constance, pour améliorer le parcours du patient dans son ensemble et pas seulement entre les murs de l’hôpital.
Article publié sur le numéro de décembre d'Hospitalia à consulter ici.